mercredi 3 octobre 2007

A l'occasion des Troyens de Genève...

Berlioz écrivain



Ne pouvant vivre des seuls revenus de sa musique, Berlioz se voit très tôt contraint de « feuilletonner » dans des revues aussi diverses que le Correspondant, la Revue européenne, le Courrier européen, la Gazette musicale de Paris, ou encore le Journal des débats. Toujours à se plaindre de ce travail qui l’éloigne de la composition, Berlioz saura profiter de cette tribune pour promouvoir l’art nouveau. Dans une époque où les cabales font ou défont les carrières, avoir la possibilité de s’exprimer ainsi est un véritable pouvoir, que Berlioz exercera plus de 30 ans. Sa plume, il est vrai, n’est pas simplement celle d’un spécialiste, qui connaît de l’intérieur ce dont il rend compte : elle est d’une qualité littéraire remarquable, vive, acérée, subtile, acerbe, bouillonnante et enflammée, pleine de verve et d’invention (ce que ses livrets ne laissent pas toujours sentir). Il a l’art rare de saisir en quelques traits (cruels parfois, mais jamais injustes) l’élément distinctif qui permet au lecteur de se faire une idée non seulement précise, mais surtout inoubliable. Ses trois recueils d’articles A travers chants, Les grotesques de la musique, Les soirées d’orchestre sont d’une richesse narrative inouïe, Berlioz ne se contentant pas de rendre compte, mais jouant à faire son Hoffmann (n’avait-il pas songé à publier ses Soirées d’orchestre sous le titre Les contes de l’orchestre ?), mettant en scène de véritables personnages, doubles plus ou moins fidèles de lui-même (« Est-ce parce que certaines gens sont fous qu’ils s’occupent de musique, ou bien est-ce la musique qui les rend fous ?… ») où s’expriment tour à tour Florestan et Eusébius. Rien ni personne n’est épargné, pas même les grands de ce monde (« Un roi d’Espagne, croyant aimer fort la musique, se plaisait à faire sa partie dans les quatuors de Boccherini ; mais il ne pouvait jamais suivre le mouvement (…). Effrayés du désordre produit par le royal archet [les autres concertants] firent mine de s’arrêter : - Allez toujours, cria l’enthousiaste monarque, je vous rattraperai bien.. »). Leur lecture permet en outre de relativiser certaines idées préconçues que l’on a souvent sur l’art de Berlioz compositeur, sur son goût pour le gigantisme, par exemple, ou bien encore sur le « bruit » de son orchestre : on découvre en effet un Berlioz épris de finesse musicale (l’art des chanteurs allemands, opposés aux hurleurs dont le public apprécie la seule puissance sonore), d’intimité (ses vues sur la taille des salles de concerts et leur acoustique), voire sur les effets d’orchestre (« A la mesure X, il faut laisser tomber une pile d’assiettes ; cela produit un excellent effet », ironise-t-il au sortir d’un spectacle)… Ses Mémoires, publiés à titre posthume, valent eux aussi autant par leur qualité littéraire que pour la mine documentaire qu’ils renferment.
JJG

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