mercredi 10 octobre 2007

Après Metz...

D’un certain vérisme


Ce terme désigne une école artistique italienne, littéraire et musicale essentiellement, axée sur la représentation de la réalité quotidienne et des problèmes sociaux. Issus du Naturalisme français, ces courants trouvent en Ruggiero Leoncavallo (1858-1919), dont Paillasse fit la gloire, et Pietro Mascagni (1863-1945), célèbre à 26 ans avec Cavalleria Rusticana, ses représentants les plus marquants. Puccini a immédiatement fait figure de nouveau chef de file vériste, dépassant ses collègues par la richesse de son orchestration et son génie dramatique. Mais s’il est vrai que ses situations sont des plus réalistes, que ses personnages sont ceux de la vie de tous les jours et que leurs problèmes ont un côté trivialement humain, son langage musical reste d’un raffinement et d’une poésie qui dépasse de très loin les « misérables petits cris humains » qui ont un temps semblé être le sceau de l’Ecole Vériste. Car, de fait, le Vérisme ne se contente pas de situations ancrées dans le quotidien des gens normaux : il impose à l’artiste un langage qui cherche lui aussi à s’adapter à cette nouvelle population à laquelle il s’adresse. Ainsi verre-t-on surgir une abondance d’effets musicaux simplifiés, plus propres à toucher un public moins cultivé, moins policé, que l’on aura tôt fait de qualifier de vulgaires et racoleurs. Le génie de Puccini est d’avoir refusé cette collusion entre des situations populaires et un style « grand public », et sa musique ne tombe que fort rarement dans de tels excès expressionnistes (quelques « cris » au deuxième acte de Tosca tout au plus) ; même son Tabarro, si proche de Paillasse par sa situation, par son action et ses personnages, montre qu’il n’est aucunement besoin de répudier les artifices les plus raffinés de son art pour donner à sentir les situations les plus brutales, voire les plus vulgaires. Dans La Traviata, Verdi portait sur scène une histoire extraordinairement vériste, sans jamais abdiquer ses principes musicaux. A l’inverse, l’ultime Puccini, chantre du vérisme aux yeux du public (sinon aux siens propres), trouve quelques-unes de ses plus géniales inventions dans le moins vériste de ses sujets, la très féerique Turandot !
JJG

mercredi 3 octobre 2007

A l'occasion des Troyens de Genève...

Berlioz écrivain



Ne pouvant vivre des seuls revenus de sa musique, Berlioz se voit très tôt contraint de « feuilletonner » dans des revues aussi diverses que le Correspondant, la Revue européenne, le Courrier européen, la Gazette musicale de Paris, ou encore le Journal des débats. Toujours à se plaindre de ce travail qui l’éloigne de la composition, Berlioz saura profiter de cette tribune pour promouvoir l’art nouveau. Dans une époque où les cabales font ou défont les carrières, avoir la possibilité de s’exprimer ainsi est un véritable pouvoir, que Berlioz exercera plus de 30 ans. Sa plume, il est vrai, n’est pas simplement celle d’un spécialiste, qui connaît de l’intérieur ce dont il rend compte : elle est d’une qualité littéraire remarquable, vive, acérée, subtile, acerbe, bouillonnante et enflammée, pleine de verve et d’invention (ce que ses livrets ne laissent pas toujours sentir). Il a l’art rare de saisir en quelques traits (cruels parfois, mais jamais injustes) l’élément distinctif qui permet au lecteur de se faire une idée non seulement précise, mais surtout inoubliable. Ses trois recueils d’articles A travers chants, Les grotesques de la musique, Les soirées d’orchestre sont d’une richesse narrative inouïe, Berlioz ne se contentant pas de rendre compte, mais jouant à faire son Hoffmann (n’avait-il pas songé à publier ses Soirées d’orchestre sous le titre Les contes de l’orchestre ?), mettant en scène de véritables personnages, doubles plus ou moins fidèles de lui-même (« Est-ce parce que certaines gens sont fous qu’ils s’occupent de musique, ou bien est-ce la musique qui les rend fous ?… ») où s’expriment tour à tour Florestan et Eusébius. Rien ni personne n’est épargné, pas même les grands de ce monde (« Un roi d’Espagne, croyant aimer fort la musique, se plaisait à faire sa partie dans les quatuors de Boccherini ; mais il ne pouvait jamais suivre le mouvement (…). Effrayés du désordre produit par le royal archet [les autres concertants] firent mine de s’arrêter : - Allez toujours, cria l’enthousiaste monarque, je vous rattraperai bien.. »). Leur lecture permet en outre de relativiser certaines idées préconçues que l’on a souvent sur l’art de Berlioz compositeur, sur son goût pour le gigantisme, par exemple, ou bien encore sur le « bruit » de son orchestre : on découvre en effet un Berlioz épris de finesse musicale (l’art des chanteurs allemands, opposés aux hurleurs dont le public apprécie la seule puissance sonore), d’intimité (ses vues sur la taille des salles de concerts et leur acoustique), voire sur les effets d’orchestre (« A la mesure X, il faut laisser tomber une pile d’assiettes ; cela produit un excellent effet », ironise-t-il au sortir d’un spectacle)… Ses Mémoires, publiés à titre posthume, valent eux aussi autant par leur qualité littéraire que pour la mine documentaire qu’ils renferment.
JJG